La communauté éducative du Bas Montreuil
à M. le président de l’Assemblée Nationale
Objet : réintégration en éducation prioritaire
Monsieur le président de l’Assemblée Nationale,
Nous sollicitons de votre haute bienveillance l’examen de notre présente demande de réintégration dans l’éducation prioritaire.
En décembre 2014, le collège Paul Eluard de Montreuil s’en voyait exclu en apprenant la disparition de son réseau d’éducation prioritaire.
Dès l’annonce de cette nouvelle, nous, enseignants et parents d’élèves, unis, avons fait valoir pendant quatre semaines notre ferme opposition à cette décision. Notre détermination s’est appuyée sur des arguments objectifs et efficients. Grève, blocage, occupation nocturne, audience à l’académie, interventions, sollicitations médiatiques, courriers… tout a été fait pour démontrer l’injustice et le danger d’une telle décision, fondée sur une analyse dont nous sommes en mesure de prouver qu’elle est erronée, quant aux chiffres avancés, et qu’elle ne rend, ce faisant, pas compte de la réalité scolaire de leurs établissements et quartier.
Cette mobilisation sans précédent dans l’académie, soutenue par la municipalité et notre député, n’a pourtant pas encore porté ses fruits. En outre, la communauté éducative, à l’annonce de la nouvelle carte de l’éducation prioritaire, a compris que le choix des établissements, au delà du respect de tels ou tels critères, relevait bien plutôt de décisions politiciennes qui la dépassait.
Cependant, nous avons décidé de ne pas arrêter notre lutte pour la réintégration dans l’éducation prioritaire. Nombreux sont, en effet, les arguments qui nous permettent de penser que la réintégration du REP Paul Eluard est impérative. Parmi ceux-ci, nous contestons, entre autres, l’établissement des chiffres qui ont prévalu à la décision de suppression du REP.
Le collège Paul Eluard accueille une UPE2A (Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants). Il est à noter que les élèves de cette classe ne sont pas comptabilisés comme boursiers car, venant de l’étranger, ils ne peuvent prétendre à une bourse qui exige en premier lieu une attestation fiscale de l’année antérieure. Attestation dont vous comprendrez qu’ils ne peuvent la fournir. Pour autant, l’immense majorité de ces enfants est dans une situation plus que précaire. Bon nombre d’entre eux sont par exemple en hébergement d’urgence. Et pourtant ils n’apparaissent pas dans les chiffres de boursiers. Ils n’apparaissent pas non plus dans les chiffres relatifs aux CSP puisque la classe d’accueil est désectorisée.
Pour les chiffres de l’académie, ces enfants sont donc proprement invisibles, pour ne pas dire inexistants. Pour nous, ils sont au contraire le cœur de notre mission d’éducation républicaine. Nul doute que vous partagerez notre analyse.
Le collège Paul Eluard est un des seuls collèges de France à accueillir sur son secteur non pas une, mais deux MOUS Rom. Là encore, ces enfants n’existent pas dans l’analyse de l’académie qui n’a d’ailleurs jamais voulu et pu affirmer qu’elle en avait connaissance. Le fait que ces enfants habitent dans des « logements passerelles », à baux précaires, les a de fait rendus, eux aussi, invisibles dans la vision strictement comptable qui a présidé à l’établissement de la carte de l’éducation prioritaire.
Ils sont pourtant, eux aussi, au cœur de nos préoccupations pédagogiques et citoyennes. Là encore nous savons que vous partagerez ce constat d’un grave dysfonctionnement dans l’analyse de nos établissements.
Le collège Paul Eluard se situe à moins de 100 mètres d’un des plus grands lycées confessionnels juifs d’île de France : le lycée ORT Daniel Mayer. Nous n’avons pas été épargnés pas les tensions intercommunautaires dans notre histoire. Il y a 10 ans, c’est même précisément notre quartier que le réalisateur Elie Chouraqui pointait du doigt comme un épicentre de l’antisémitisme dans un documentaire de France 2, diffusé sur envoyé spécial. Le travail constant, l’attachement sans faille aux valeurs républicaines de fraternité et les dispositifs et concertations que nous ont permis de mettre en place notre REP ont permis de faire évoluer la situation vers une conception partagée du vivre-ensemble, sans pour autant nous mettre à l’abri de nouveaux incidents.
Là encore, l’académie, dans son analyse ne rend pas compte de cette situation et des besoins, qu’elle infère, comme le rappelle tristement l’actualité. Nul doute que vous partagez le constat de Mme la ministre de l’éducation nationale lorsqu’elle affirme que « l’école n’est pas à la hauteur » pour défendre la laïcité. Comment le serait-elle si, précisément là où se concentrent les difficultés, on retire des moyens ?
L’académie et le ministère ne nous a proposé qu’un « accompagnement vers la sortie » (sic) de l’éducation prioritaire. Nous sommes trop conscients des difficultés rencontrées chaque année durant les DHG pour maintenir nos moyens, alors même que nous étions classés ZEP, pour croire qu’une telle proposition puisse être une garantie suffisante.
M. le président de l’assemblée nationale, vous aurez, nous en sommes persuadés, compris la légitimité de notre demande et la force de notre mobilisation en faveur de notre réintégration dans l’éducation prioritaire.
Pour conclure, c’est à l’homme de culture que nous nous adressons. Nous faisons nôtres les mots de Francis Ponge quand il rappelait que « la meilleure façon de servir la République est de redonner force et tenue au langage. »
Force et tenue au langage ? Nous le faisons sans faiblir, en exerçant avec fierté la mission d’éducation nationale qui nous est confié.
Servir la République ? Vous la desservez en ôtant à notre communauté, à notre quartier, à nos élèves et enfants, les moyens de la défendre par l’école.
Nous restons confiants car nous savons votre attachement à la mission de l’école de la République.
Nous restons confiants car nous savons que vous ne pouvez ignorer en l’état l’analyse de nos besoins qui se voit opposer une triste logique comptable.
Nous restons confiants car nous savons que vous ne pouvez contester l’urgence d’une sanctuarisation des moyens dans notre département.
Nous restons confiants, car nous savons que ce que des décisions politiques ont fait, d’autres décisions politiques peuvent le défaire, comme l’a prouvé la réintégration en éducation prioritaire du collège Courbet de Romainville,
Nous restons confiants et vous demandons de plaider notre cause auprès de Mme la Ministre, Mme Najat Vallaud-Belkacem afin que nous réintégrions l’éducation prioritaire et que notre REP soit sauvegardé.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à l’examen de notre demande, nous vous prions, M. le président de l’assemblée Nationale, d’agréer l’expression de nos respectueuses salutations.
Les parents et enseignants du REP Eluard de Montreuil : Collège Paul Eluard,
Ecoles Paul Bert, Dolto, Voltaire, Françoise Héritier et Marceau.